
C’était au Jardin des Plantes, ce matin.
Ivres de soleil et de pluie, comme épuisées après l’amour, les pivoines, ces belles endormies, laissaient tomber leur tête lourde, ouvrant grand leurs lèvres de soie rose. Sous l’œil voyeur, des intimités charnelles se dévoilaient.
Derrière moi, deux jeunes gens, deux étudiants peut-être, qui bavardent ; dont l’un parle à l’autre, plutôt, et lui dit ; lui dit de ce ton traînant et compassé, faussement maladroit, faussement hésitant ; de ce ton qu’on emploie quand on croit tout savoir mais qu’on ne veut pas, par bonté (par bonté ou mépris ? Probablement les deux), qu’on ne veut pas écraser l’autre de son évidente supériorité ; de ce ton que j’ai si souvent entendu, que j’ai si souvent employé ; il disait donc à son ami, du ton de celui qui sait tout et condescend à expliquer, que « l’élite intellectuelle, politique ou plutôt administrative, n’était plus ce qu’elle était », et patati, et patata, et patata et patati
Et marchant de ce pas assuré de qui a plus urgent à faire, de qui n’a pas de temps à perdre avec la botanique, avec les choses, avec la vie, il poursuivait son bullshit prétentieux et ridicule sans regarder, sans même voir probablement les chairs roses entrouvertes, les beautés épanouies à côté desquelles il passait.
Il me prend parfois l’envie de partir, de partir loin de tous ces gens et de moi-même, de tous ces gens qui, ne serait-ce qu’un instant, un court instant seulement, peuvent accorder plus d’importance aux discussions sur l’élite administrative qu’à la splendeur d’une pivoine.
La photographie d’illustration représente une pivoine, une superbe pivoine du Jardin des Plantes, qui en a une magnifique collection.
Être ce qui était ? Même la pivoine n’a pas cette prétention !
Belle journée à toi, Aldor.