• A propos
  • Abonnements
  • aldoror.fr
  • improvisations.fr
  • images.improvisations.fr
  • promenades.improvisations.fr

Lignes

  • Le mépris, le déni et le monde qui se délite (reprise)

    août 12th, 2022
     (c) 1963 Studiocanal – Compagnia Cinematografica Champion S.P.A. / Les Films Marceau / Rome-Paris Films. Tous Droits réservés

    C’était hier soir, à la Villa Carmignac, à Porquerolles : la beauté de Brigitte Bardot, le chapeau de Piccoli, la musique de Georges Delerue, la splendeur de Capri.

    Tout ça sous les pins et les eucalyptus, dans le chant des cigales qui peu à peu se taisaient tandis que, derrière l’écran, la lune se levait.

    Le mépris, d’Alberto Moravia, raconte la progressive découverte, par un homme, de ce qu’il sait déjà, de ce qu’il sait depuis le début. C’est le récit d’un déni qui s’achève, pareil à celui que nous ressentons face au monde qui s’abîme, le voyant se déliter sans cependant y croire vraiment, écartelés que nous sommes entre l’aveuglement, le refus de la culpabilité, une précoce nostalgie et une trop tardive espérance.

    Au premier chapitre, tout se noue, et le reste du roman ne sera qu’une exploration des ondes et du chaos nés de cette singularité première, non reconnue comme telle mais pourtant immédiatement perçue, sentie – plus d’ailleurs, dans le film de Godard que dans le roman de Moravia. Nous savons, nous savons depuis toujours, ayant vu devant nous le monde s’effilocher et se salir ; nous savons, et pourtant nous ne croyons pas.

    De même que c’est dans son exil que Riccardo reconnaît le bonheur émanant d’Emilia, c’est dans la disparition du monde qui fut que nous reconnaissons sa beauté :

    Plus on est heureux et moins on prête attention à son bonheur. Cela pourra sembler étrange, mais au cours de ces deux années j’eus même parfois l’impression que je m’ennuyais. Non, je ne me rendais pas compte de mon bonheur. En aimant ma femme et en étant aimé d’elle je croyais faire comme tout le monde ; cet amour me semblait un fait commun, normal, sans rien de précieux, comme l’air que l’on respire et qui n’est immense et inestimable que lorsqu’il vient à vous manquer.

    C’est quand le monde nous échappe, qu’on voit le flux continu de la vie se tarir, les oiseaux moins chanter, les glaciers disparaître, les mers devenir des poubelles, que sa magnificence, si longtemps dédaignée, l’humble magnificence chantée par François, nous submerge, comme elle submerge les personnages de Soleil vert qui se donnent à la mort et qui découvrent un monde qu’ils n’ont jamais connu.

    C’est quand le monde nous échappe, comme Camille échappe à Paul, pour emprunter cette fois-ci ses prénoms à Godard, que l’amour nous avons pour lui, qui était discret et inavoué, secret et presque honteux, s’exprime et éclate, se découvre :

    Au temps où Emilia montrait un déplaisir de mon absence, je la quittais le cœur léger, content au fond de ce déplaisir comme d’une preuve supplémentaire du grand amour qu’elle me portait. Mais dès que je m’aperçus que non seulement elle ne manifestait aucun dépit mais qu’elle semblait préférer sa solitude, je commençais à éprouver une sourde angoisse, comme lorsqu’on sent manquer le sol sous ses pieds.

    Et c’est maintenant que tout ce qui paraissait naturel et donné, allant de soi et éternel, révèle sa fragilité, maintenant que le monde s’en va, que nous voulons le retenir, l’embrasser, nous montrer tendres et aimants avec nos pauvres gestes, nos gestes maladroits et un peu niais qui succèdent à des décennies de violence et de pillage.

    Nous découvrons que nous aimons le monde, que nous ne pouvons vivre sans lui, que nous formons avec lui un seul être, et pourtant nous n’allons pas jusqu’au bout de notre amour. Comme Riccardo-Paul, qui refuse de reconnaître sa pusillanimité et qui va toujours demandant à Emilia-Camille pourquoi elle le méprise, lui qui pourtant au fond de lui le sait, nous ressassons le passé, feignons de ne pas connaître les causes du désastre qui s’annonce et continuons sur notre lancée, dans un endormissement tranquille et mortifère dont ne peuvent nous sortir que les cris de nos modernes Antigone.

    Et de même que Paul croit qu’il suffit d’être brutal pour être l’homme que Camille lui reproche de ne pas être, nous manquons de sincérité, d’entièreté et de virilité dans notre amour et nos résolutions. Nous manquons de courage pour changer résolument de cap, babouinons, singeons, tenons de grandes conférences mais ne décidons rien, préférant négocier, calculer, mégoter.

    Dans la course à l’abîme, nous cherchons à gagner du temps.

  • La deuxième Chute, ou peut-être la seule

    juillet 31st, 2022
    La Voie lactée, photographiée au champ des oliviers à Porquerolles

    Un singe (ou n’importe quel être illettré), placé devant une machine à écrire ou un clavier d’ordinateur peut, tapant au hasard sur les touches, écrire un texte magnifique : les premières strophes de l’Ève de Charles Péguy, Hamlet de Shakespeare, L’Œuvre complète de Tchouang-Tseu ou L’Odyssée d’Homère.

    C’est possible, mais la probabilité qu’un tel événement se produise est très faible : statistiquement, il faudrait s’y reprendre 26100 fois pour avoir une chance de taper correctement ne serait-ce que les cent premiers signes et espaces, c’est-à-dire que le nombre d’essais avant de tomber juste devrait statistiquement être supérieur au nombre d’atomes dans l’univers tout entier. Et même en tapant les touches plus vite que je ne sais le faire, en les frappant comme celles et ceux qui savent le faire en regardant ailleurs ou, mieux encore, comme un sténographe ou une sténotypiste, à très haute vitesse, cela exigerait un délai des milliards de milliards de fois supérieur aux 13 milliards d’années écoulées depuis la naissance du monde. Et tout ça pour les cent premiers signes – même s’il est toujours possible que cela arrive du premier coup.

    Paradoxalement, donc, si le but du monde qui nous entoure est de faire en sorte qu’un homme nommé Charles Péguy puisse un jour écrire Ève (ou qu’Etty Hillesum puisse réconforter, en la maquillant, une jeune fille promise à l’enfer, ou que des hommes et des femmes puissent chanter la beauté du monde, ou même que le volume d’ARENH puisse s’établir à 100 TWh – peu importe, en fait), la solution de très loin la plus efficace, la plus économe et la plus rapide est celle consistant à créer un Big Bang, à attendre qu’une première génération d’étoiles naisse, se développe et meure dans de gigantesques cataclysmes, à voir le vide ensemencé par les éléments lourds nés de ces soubresauts cosmiques, à assister au développement d’une deuxième génération d’étoiles, à la naissance de planètes riches de ces éléments lourds et à l’apparition, sur ces planètes, d’êtres vivants venant contester, dans leur singularité et leur harmonie, la primauté de l’entropie ; contester la gravité en s’élevant vers le ciel, comme le dit joliment Simone Weil quand elle parle des plantes.

    C’est la solution la plus rapide pour que des êtres humains fassent leurs premiers pas, émergent du vide et du froid, du rien. Mais c’est tout de même long, difficile et hasardeux.

    C’est dommage de gâcher cette chance, de perdre cette occasion, de ne pas même savoir vraiment la reconnaître. Dommage de n’avoir pas su apprécier les merveilles au sein desquelles il nous avait été donné de vivre, et de devoir, par notre faute, notre égoïsme, quitter ce jardin en le laissant au surplus abîmé.

    Mais à ce point de bêtise, c’est vrai que c’est impardonnable, que c’est métaphysiquement de l’ordre du Mal et du péché.

    Une deuxième Chute – ou peut-être la seule.


    Suit, dans l’audio, la lecture des premières strophes de Eve.

  • L’insouciance qui nous permet de vivre

    juillet 28th, 2022

    Il arrive que, quittant soudain l’insouciance qui nous permet de vivre, on prenne conscience de la fragilité des choses. Et un abîme s’ouvre alors sous nos pas.

    On marche, on court, on nage, on boit, on grimpe, on se repose ; on fait un de ces gestes que l’on fait chaque jour sans y penser ; puis on réalise brusquement que rien de ce qui paraît aller de soi ne va effectivement de soi : on pourrait perdre l’équilibre, mal calculer notre prise, avoir une crampe, avaler de travers, être tué par un fou ; rencontrer sur son chemin un de ces impondérables qui font basculer les vies.

    Un vertige, alors, nous prend : et si cela advenait ? Et si ce que nous avons jusqu’ici considéré comme acquis ne l’était pas ? Et si un grain de sable venait tout à coup gripper la machine harmonieuse et infiniment délicate de notre corps qui nous permet d’aller et venir, de rire, de vivre, avec confiance en nous, en les autres et en l’avenir ?

    J’ai connu hier un tel moment d’égarement (ou de conscience, peut-être) tandis que sortant de la rue de Grenelle je pénétrais sur l’esplanade des Invalides. La roue de mon vélo a heurté le trottoir, j’ai un instant perdu l’équilibre et me suis un moment représenté tombant sur la chaussée puis écrasé par le flux des voitures. Un moment j’ai imaginé le pire, un pire qui pouvait arriver pour peu que défaille soudainement l’un ou l’autre des petits rouages dont l’ajustement finalement miraculeux rend ordinairement harmonieux l’écoulement des instants.

    Quelle vertige, quelle panique, quel abîme de toucher ainsi du doigt la fragilité des choses et de prendre conscience de l’immense confiance qu’il nous faut avoir en l’harmonie du monde pour vivre sans trembler !

    Je pense qu’il ya des êtres qui, soit parce qu’ils sont dotés d’une sensibilité particulière, soit à la suite d’un choc, soit parce qu’ils ont été meurtris par des relations perverses, n’ont pas cette confiance, cette insouciance, cette inconscience, et vivent continuellement dans l’appréhension, le qui-vive, la crainte d’un dérapage des choses.

    Nul repos, jamais, pour eux ; nul moment pour souffler ; nulle désinvolture ni laisser-aller.

    Leur pleine conscience doit être un enfer.

  • « I am that merry wanderer of the night »

    juillet 23rd, 2022

    Dans Le songe d’une nuit d’été, William Shakespeare met en scène Puck. C’est une sorte de lutin, un farfadet, compagnon du roi des fées, qui se présente lui-même en ces termes : « I am that merry wanderer of the night » : je suis le joyeux vagabond de la nuit.

    Voilà bien une chose qui nous manque, et depuis longtemps : de joyeux vagabonds de la nuit, des êtres légers et farceurs qui sachent nous arracher à la pesanteur des temps et à notre esprit de sérieux.

    Ce n’est pas que les difficultés du monde : l’effondrement de la biodiversité, le dérèglement climatique, la pollution, la misère, la violence, la souffrance – soient négligeables ou surfaites. Non ! elles sont dramatiques et, malgré tous nos mots, empirent de jour en jour. Mais c’est une question d’énergie, de joie et de grâce, de légèreté.

    Nous croulons sous le poids des choses et des idées lourdes et sérieuses, sous le fardeau d’une pesanteur devenue le signe de notre présence au monde : lourdeur de nos villes, de notre bitume, de nos usines, de nos machines, de nos voitures, de nos navires ; lourdeur de nos lois, de nos règles, de nos normes, de nos religions, de nos habitudes. Nous sommes devenus comme ces dinosaures d’antan, ces grosses bêtes disparues de n’avoir pu s’adapter comme avaient su le faire les mammifères et les oiseaux, parce que trop pesantes, trop inertes.

    Nos sociétés industrielles sont devenues dévoreuses de matières, de métal, de charbon, de pétrole, de terres rares, d’eau ; et nous sommes devenus incapables de nous en passer, le moindre de nos gestes déclenchant une débauche d’énergie, une salissure supplémentaire, le pillage d’une autre ressource.

    Quelque chose, dans la belle histoire de l’humanité, s’est cassé avec la mort de Pan, de ce grand Pan dont la mort est annoncée à Thamous tandis qu’il croise au large de Paxos. Quelque chose dont Puck, le farfadet, est comme l’héritier.

    Puck est l’espièglerie mais aussi la nature. Il pourrait être un faune ou un sylvestre, ou encore un de ces esprits de la forêt de Princesse Mononoké. Il est moqueur et espiègle parce qu’il incarne cette nature qui toujours dérape et gaffe, toujours échappe à la stricte raison, à cette prétention humaine de vouloir tout dominer, tout régenter, tout mettre sous sa coupe.

    Puck, comme Pan, sont des créatures païennes, des créatures de ces temps d’avant les monothéismes qui prétendirent faire des êtres humains les maîtres du monde à qui la création était confiée. Leur espièglerie est un hommage rendu au caractère incontrôlable, incompréhensible, foncièrement ironique du monde, et un pied de nez tiré à nos grandes théories vaniteuses et fumeuses.

    C’est de cela que nous avons besoin : d’air, de légèreté, et de redevenir capable d’aller sur les routes, comme de joyeux vagabonds.

  • Sidération

    juillet 20th, 2022
    Une jeune corneille photographiée au Jardin des Plantes, à Paris

    Au Jardin des Plantes mais aussi au Luxembourg, on pouvait voir ces derniers jours, plantées sous le feu du soleil, de jeunes corneilles, immobiles.

    Elles restaient là, le bec ouvert, écrasées par la chaleur tombant du ciel, paraissant ne chercher ni fraîcheur ni eau mais attendre que cela passe.

    Il fallait s’approcher beaucoup d’elles pour que, lourdement, elles prennent un envol épuisé, se posant quelques mètres plus loin sous le même soleil.

    Et quand on déposait un peu d’eau auprès d’elles, pour qu’elles puissent se désaltérer et reprendre des forces, elles paraissaient ne pas l’apercevoir.

    Elles étaient totalement sidérées, pétrifiées dans un cri muet.

  • Bastilles à prendre

    juillet 17th, 2022
    La Tour Eiffel pendant le feu d’artifice parisien du 14 juillet 2022

    Peut-être nous faut-il des Bastilles à prendre, des citadelles bien réelles à attaquer et à abattre ; des choses plus concrètes, plus précises, plus directement haïssables que ce réchauffement climatique, cet effondrement de la biodiversité auxquels, à chaque instant, chacun d’entre nous prête main forte parce que rien de ce que nous faisons n’est dépourvu de son lot de carbone, de plastique, d’eau salie, de paysages ravagés et d’êtres exploités.

    Peut-être nous faut-il, à nous aussi, des Eurasia et des Eastasia, des ennemis bien en chair, bien délimités, bien incarnés, sur lesquels déverser notre honte ; des boucs émissaires à charger de nos péchés, de nos angoisses, de nos colères ; des innocents à qui l’on puisse, comme l’autre, lancer le si apaisant: « C’est ta faute ».

    C’est tellement simple, tellement rassurant, d’avoir un coupable !

    Mais tellement inutile quand ça n’est pas le bon. Et que le désigner ne sert qu’à détourner nos yeux de nous-mêmes ; à nous voiler la face ; à nous enfoncer dans le déni.

    À rendre la prise de conscience impossible.

    Nous avons, chacun et tous, nos propres Bastilles, nos propres boîtes à secrets, nos propres oubliettes. C’est d’elles qu’il faut nous occuper avant des Bastilles visibles.

    Elles qu’il faut d’abord abattre.

  • La foi du colibri

    juillet 8th, 2022

    Évidemment, nul ne sait ce qu’il pense, le colibri, quand il va, transportant sa petite goutte à travers la forêt en flammes.

    Mais tout de même ! Il a sûrement la foi du charbonnier, pour poursuivre ses dérisoires efforts ; de ce charbonnier fabriquant du charbon dans les sous-bois par qui la catastrophe est probablement arrivée.

    C’est un homme simple, ce charbonnier, du genre à ne pas couper les cheveux en quatre ; un homme simple voire franchement frustre, ne cherchant pas midi à quatorze heures. Le diable, un jour, vient le voir, et lui demande en quoi il croit. « En ce que l’Eglise croit« , répond notre bonhomme. « Et en quoi croit-elle ? » le relance le diable. « En ce que je crois« , rétorque notre simplet, fermant sa bouche au Malin.

    « Ça ne sert à rien« , nous serine à longueur de journée notre diable intérieur, qui a toujours réponse à tout quand il s’agit de ne rien faire. Il y a la Chine, les SUV, les pétroliers ; le permafrost, les glaciers, les coraux : les pets de vache, les États, les avions ; les méchants, les sceptiques, les égoïstes ; les C’est trop tard, les À quoi bon ?.

    Il doit bien se le dire, aussi, le colibri, que c’est inutile et même assez ridicule, ce rôle de sauveur qu’il se donne. Il doit y penser, au triangle de Karpman, à la bonne conscience, à la vanité et à tout ce que pourraient lui dire et pensent déjà peut-être les esprit forts qui le voient s’agiter en tous sens.

    Il doit rougir de sa simplicité, de sa naïveté, de sa pitoyable crédulité, de son incapacité à adopter un point de vue adulte et constructif sur les choses, un point de vue réaliste et efficace.

    Il doit rouler dans sa mémoire les mots d’Hermione à Antigone ; toute cette sagesse putréfiée comme la lavande des armoires à linge ; tout ce parfum devenu poussière ; toute cette vie devenue pierre.

    Il doit se dire ça, le colibri : que ce n’est pas malin, pas efficace, pas pertinent, cette goutte d’eau dans son bec. Et pour qui se prend-il ? ; il pète vraiment plus haut que son cul ; croit-il vraiment que le monde l’ait attendu, lui qui n’est même pas gros comme une souris verte ?

    Il doit entendre tous ces chants de désespérance résonnant dans sa petite tête. Et il doit, occlusant les oreilles de son âme, allant jusqu’au fond de lui-même, songer au charbonnier et à sa foi obtuse.

    À son manque de finesse qui lui permet, face au Malin, de ne pas vouloir jouer au plus malin ; de ne pas même y songer, du fond de son insondable bêtise ; et de faire seulement ce qu’il doit, sans en chercher l’utilité ou la raison,

    Comme on aime, parce que c’est ainsi.


    Quelques petites corrections apportées le 9 juillet, pour préciser le métier du charbonnier et la taille de la souris verte.

    Et j’ai tout réenregistré car le premier enregistrement ne me convenait pas.

    Et finalement, j’ai changé le titre.

  • Orgue minéral (un rêve)

    juillet 3rd, 2022
    A Porquerolles, près de l’Oustaou

    Sous une cascade pétrifiée s’ouvrait une vasque bleu lagon dans laquelle se dressait la forme d’un piano droit. C’était un orgue de pierre sur le corps duquel l’eau coulait, faisant danser de petites algues, pareilles à des cheveux de femme, qui ondulaient dans le courant, comme on le voit parfois sur les rochers que recouvrent et découvrent le flux et le reflux des vagues de la mer.

    Sur la face tournée vers le ciel, nul clavier ne se voyait ; mais on distinguait, brune et rouillée, une plaque de fer. Il fallait, comme l’avait fait devant moi une vieille femme au cheveux gris, se munir d’une barre de métal ou d’un galet et frotter avec douceur cette plaque pour que la pierre vibre, faisant naître des ondes dans l’eau claire.

    C’est alors que s’élevait le chant de l’orgue, que levaient les notes de musique dans le grand champ ensoleillé.


    Qui sait d’où nous viennent les rêves ? Mais je dois à Chantal Desrues l’image des notes de musique se levant dans le champ comme des épis de blé.

  • Sauter pour mieux reculer : les objectifs écologiques

    juillet 1st, 2022

    Le Journal officiel du 30 juin a publié un décret, daté du 29, qui durcit drastiquement les conditions d’accès au bonus écologique automobile puisque son article premier dispose que ne peuvent désormais bénéficier de celui-ci que les voitures émettant 0 gramme de CO2 par kilomètre.

    A la lecture de cette disposition, un sourire de bonheur se dessine sur nos lèvres, tandis qu’un Hourra, bercé par l’Hymne à la joie, naît dans notre coeur ému…

    Hélas, hélas, hélas et patatras ! Le bonheur est de courte durée : à peine l’oeil a-t-il quitté l’article premier qu’il aperçoit l’article 3, où il est précisé que « lorsqu’elles sont plus avantageuses », les anciennes conditions d’accès à la prime écologique restent pour le moment applicables.

    Quel retournement ! Et quelle étrange manière de présenter les choses ! On met en avant, en exergue, un objectif ambitieux, difficile à atteindre, et quelques lignes plus loin, de façon détournée et insidieuse, on vide cet objectif de toute susbstance en expliquant que, transitoirement, on pourra y déroger.

    J’ai bien conscience des motivations industrielles, économiques, sociales, qui peuvent expliquer qu’on prolonge le bonus écologique actuel. Même s’il serait également concevable d’arrêter de subventionner toutes les voitures individuelles, ce bonus aide sans doute à substituer à des voitures très polluantes des voitures moins polluantes. Mais pourquoi ne le dit-on pas d’entrée de jeu et présente-t-on les choses comme si l’on durcissait les critères alors qu’on maintient et prolonge ceux qui sont en place ?

    Je ne jette pas ici la pierre à l’administration ou au rédacteur du texte. Je pense que, chaque jour, dans mes affaires privées, j’agis de cette même manière hypocrite consistant à prétendre sauter pour en fait mieux reculer : promis, juré, craché ; à partir de demain je suis irréprochable (mais du coup, ce soir, je me lache).

    Il y a sûrement à cela des ressorts psychologiques profonds dont le plus important est probablement que nous ne pouvons réellement nous mobiliser que pour des grandes causes, de grands desseins, de grandes querelles, aurait dit le Général, et qu’il est donc plus motivant, plus mobilisateur de se fixer un objectif ambitieux et un peu lointain qu’un objectif proche mais dénué de toute symbolique : gravir l’Everest ou atteindre le zéro carbone, ça a plus de gueule et enthousiasme plus que gravir la cote de Dammartin ou descendre à 30 grammes.

    Mais comme cet objectif est plus lointain et qu’on ne prend plus la peine de dessiner les marches permettant d’y d’atteindre, on prend également le risque de construire un mur infranchissable, une sorte de « Demain, on rase gratis » géant revenant à ne rien faire. C’est ce qui paraît se passer avec ces grands objectifs écologiques que nous donnons, qui sont chaque jour plus ambitieux et plus extraordinaires, mais qu’on accompagne systématiquement de dérogations pour l’immédiat, qui en constituent le véritable effet utile.

    Nous confions ainsi à nos enfants le soin de résoudre l’immense paquet de problèmes que, chaque jour et patiemment, nous faisons grossir et fourgons sous leur tapis. Le contraire d’une attitude responsable.



    Décret n° 2022-960 du 29 juin 2022 relatif aux aides à l’acquisition ou à la location de véhicules peu polluants

    La Première ministre,
    Sur le rapport de la ministre de la transition énergétique,
    Vu le code civil, notamment son article 1er ;
    Vu le code de l’énergie, et notamment ses articles D. 251-1-1 et D. 251-7 ;
    Vu le décret n° 2021-1866 du 29 décembre 2021 relatif aux aides à l’acquisition ou à la location de véhicules peu polluants ;
    Vu l’urgence,
    Décrète :

    • Article 1
      Le code de l’énergie est ainsi modifié :
      1° Au 5° de l’article D. 251-1-1 du code de l’énergie, les mots : « inférieure ou égale à 20 grammes » sont remplacés par les mots : « égale à 0 gramme » ;
      2° L’article D. 251-7 du code de l’énergie est ainsi modifié :
      a) Au 1°, 2° et 3°, les mots : « inférieur ou égal à 20 grammes par kilomètre » sont remplacés par les mots : « égal à 0 gramme par kilomètre » ;
      b) Au 3° bis, les mots : « inférieur ou égal à 20 grammes par kilomètre » sont remplacés par les mots : « égal à 0 gramme par kilomètre » ;
      c) Au 1° et au 2°, le nombre : « 45 000 » est remplacé par le nombre : « 47 000 ».
    • Article 2
      L’article D. 251-7 est ainsi modifié :
      1° Au 1°, le nombre : « 6 000 » est remplacé par le nombre : « 5 000 » et le nombre : « 4 000 » est remplacé par le nombre : « 3 000 » ;
      2° Au 2° et au 3°, le nombre : « 2 000 » est remplacé par le nombre : « 1 000 » ;
      3° Le 7° est supprimé ;
      4° Le 8° est numéroté 7° et le 9° est numéroté 8°.
    • Article 3
      Lorsqu’elles sont plus avantageuses, les dispositions des articles D. 251-1-1 et D. 251-7 du code de l’énergie dans leur rédaction antérieure à l’article 1er du présent décret restent applicables aux véhicules qui n’ont pas fait l’objet précédemment d’une première immatriculation en France et à l’étranger, commandés ou dont le contrat de location a été signé avant le 30 juin 2022 inclus, à condition que leur facturation ou le versement du premier loyer intervienne au plus tard le 31 décembre 2022.Liens relatifs 
    • Article 4
      Lorsqu’elles sont plus avantageuses, les dispositions de l’article D. 251-7 du code de l’énergie dans sa rédaction antérieure à l’article 2 du présent décret restent applicables aux véhicules qui n’ont pas fait l’objet précédemment d’une première immatriculation en France et à l’étranger, commandés ou dont le contrat de location a été signé avant le 31 décembre 2022 inclus, à condition que leur facturation ou le versement du premier loyer intervienne au plus tard le 30 juin 2023.Liens relatifs 
    • Article 5
      Les articles2 et 4 du décret du 29 décembre 2021 susvisé sont abrogés.
    • Article 6
      Les articles 1er et 3 entrent en vigueur le 1er juillet 2022.
      Les articles 2 et 4 entrent en vigueur le 1er janvier 2023.
    • Article 7
      Le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, la ministre de la transition énergétique et le ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics, sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l’exécution du présent décret, qui sera publié au Journal officiel de la République française et entrera en vigueur immédiatement.


    Fait le 29 juin 2022.


    Élisabeth Borne
    Par la Première ministre :


    La ministre de la transition énergétique,
    Agnès Pannier-Runacher


    Le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique,
    Bruno Le Maire


    Le ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics,
    Gabriel Attal

  • Inachèvement et espérance

    juin 24th, 2022

    Dans la première vision de son troisième livre, Hildegarde observe justement : « Quand il arrive à l’homme, dans la faible limite de ses possibilités, de se mettre au travail, il ne réussit pas même à achever son œuvre, impatient qu’il est d’attirer l’attention des autres. ».

    Par la bouche et la plume d’Hildegarde, c’est Dieu qui parle, se révélant à l’abbesse par les visions qu’il lui envoie. Ici, il explique que l’éclat perçu par Hildegarde reflète la plénitude absolue de l’œuvre divine, plénitude qui marque que ce n’est pas œuvre humaine puisque les hommes, eux, quand ils se mettent au travail, sont incapables d’achever leur œuvre, impatients qu’ils sont de la montrer.

    Je me reconnais parfaitement dans ce reproche, qui fait de la recherche de l’attention des autres une des causes de notre propre manque d’attention, de l’inachèvement si fréquent de nos travaux. À peine ai-je une idée qu’il me faut la partager, comme si je craignais que réfléchie, mûrie, examinée, elle ne disparaisse ou ne s’étiole.

    Dans une dissertation qu’elle consacre en khâgne à un conte de Grimm, Simone Weil fait l’éloge d’une jeune fille qui, pour sauver ses frères victimes d’un sortilège, s’astreint pendant sept ans à garder le silence et à travailler au tricotage d’une étole : “La seule force et la seule vertu est de se retenir d’agir“, écrit Simone Weil à son propos.

    J’ai de l’admiration pour les personnes qui, comme cette héroïne (ou comme Katia, parfois), sont patientes, savent attendre, acceptent de travailler dans l’ombre et sans reconnaissance.

    Il y a effectivement là une force et une vertu qui me manquent, comme elles manquent souvent aux êtres humains et aux autres êtres vivants, pressés par la mort et la brièveté de la vie : prendre le temps de la perfection appartient aux immortels.

    Mais cette impatience a aussi une vertu : elle oblige à se lancer, à se lancer dans l’imperfection, à se lancer dans l’incertitude. Elle est l’autre nom de la foi qui nous permet de croire, d’agir, d’aimer, sans être sûrs de ne pas nous tromper – sans être sûrs de rien. Elle est ce qui nous donne le courage de nous engager.

    Car si Dieu sait, nous ne pouvons qu’espérer.

1 2 3 … 17
Page suivante→

Proudly powered by WordPress