Quand celui ou celle qu’on a combattue est à terre, écrasée et vaincue, il est utile de lui ménager une porte de sortie pour éviter que, accablée par le sentiment d’avoir tout perdu et de n’avoir plus rien à perdre, elle ne soit tentée par le désespoir, l’après-moi-le-déluge et la terre brûlée.
Laisser ouverte cette porte de sortie, c’est ce qu’on appelle parfois sauver la face, en référence à l’expression chinoise importée en français au milieu du XIXè. C’est faire en sorte que, quand presque tout est perdu, un avenir demeure cependant possible parce que, dans l’anéantissement général, quelque chose est resté sauf, qui nous permet de croiser encore les yeux de nos semblables et de nous regarder dans un miroir : nous avons su garder la face, ce visage non pas de l’honneur (qui est toujours empêtré de vanité), mais de la dignité.
Sauver la face de l’adversaire est cependant toujours périlleux. Non pas tant à cause des idiots qui y voient une preuve de faiblesse qu’en raison du caractère intrinsèquement ambigu, biface justement, de tout combat.
En théorie et dans l’idéal, ça n’est jamais contre une personne qu’on se bat mais contre des idées, des pratiques, des comportements, des actions ; en théorie et dans l’idéal, notre adversaire n’est pas notre ennemi.
Dans la pratique, toutefois, ce ne sont pas des idées ou des actes contre lesquels nous luttons mais contre les personnes qui les propagent et les commettent. Et arrive toujours un moment où l’efficacité de cette lutte exige de s’en prendre aux personnes parce que là est la source vive de ce contre quoi nous luttons.
Sauver la face de l’adversaire, c’est, à l’instant de lui faire rendre gorge, retenir notre victoire, et non seulement ne pas le tuer (ce qui est simplement sauver sa vie) mais lui tendre une main qui lui permette de considérer que son combat n’aura pas été totalement vain. C’est chercher un point de conciliation au moment même où nous pourrions nous en passer et reconnaître, parce que nous n’en avons plus besoin, que notre adversaire n’avait pas totalement tort.
Dans cette reconnaissance des mérites de l’adversaire, nous ne faisons pas que lui sauver la face ; nous nous donnons à nous-mêmes les moyens d’échapper au manichéisme réductionniste que la logique du combat impose. Et plus profondément, nous nous inscrivons dans cette philosophie de l’histoire (qu’on peut appeler principe de réalité) qui veut que, sauf exceptions imposées par la contrainte et la violence continues, ce qui existe (y compris ce que nous n’aimons pas) répond à un besoin ou à un désir, se justifie d’une façon ou d’une autre. Sauver la face de l’adversaire, c’est trouver cette justification, c’est-à-dire rendre compte de son existence et du fait qu’elle ne soit pas une pure aberration.
Toute la difficulté est évidemment de sauver la face de l’adversaire sans perdre la nôtre, de justifier l’existence de ce qui existe sans tomber dans le conservatisme. C’est une belle quête que celle de cet équilibre.
12/02/23 … d’aujourd’hui ! Bravo pour la fleur, Aldor !
❤️