Création perpétuelle

Un camélia rose du Jardin des Plantes

Rabbi Bounam, qui officiait au XVIIIè siècle en Pologne, disait : « Les premières paroles de l’Ecriture, il faut les comprendre ainsi : « Au commencement de la création par Dieu du ciel et de la terre ». Parce que, de nos jours encore, le monde demeure à l’état de création. En effet, lorsqu’un artisan fabrique un objet et qu’il l’a terminé, l’objet n’a plus besoin de lui. Mais il n’en va pas du tout de même en ce qui concerne le monde : jour et nuit et d’instant en instant, il lui faut, pour subsister, qu’incessamment se renouvellent les forces de la Parole originelle qui le créa. Et si, pour un seul instant, la vertu de ces forces venait à lui manquer, il retomberait instantanément à l’état de chaos. ».

Il y a des jours où, plus encore que d’autres, la vérité de cette pensée me saute à la figure : la beauté du monde, la vie, la grâce, le bonheur ne nous sont pas donnés une fois pour toutes ; il faut, à chaque instant, les entretenir, les soigner, les choyer, les entourer d’attention et d’amour pour qu’elles se perpétuent, se renouvellent, se revivifient, se recréent et s’épanouissent. Sans cet amour et cette attention continuelles, la flèche du temps, l’entropie et le chaos emportent tout, réduisent chaque chose en poussière, ramènent tout au néant.

C’est vrai pour le monde, c’est vrai pour la vie, c’est vrai pour la beauté, c’est vrai pour l’amour : sans cette attention, ce soin, cet effort empathique de chaque instant, tout a vite fait de s’effilocher, de se distendre, de s’abandonner à l’attrait du vide pour revenir au rien initial, ou au trop plein peut-être du Tsimtsoum, à un état de calme et de rondeur où le manque n’existe pas, où rien ne vient troubler la plénitude immobile.

Il n’y a pas d’amour heureux, chante Brassens. Je crois quant à moi qu’il y en a. Ce sont ceux qui se recréent chaque jour, qui chaque jour redécouvrent, qui chaque jour réinventent, qui chaque jour renaissent. Parce qu’on a su garder les yeux ouverts, ne pas les laisser obscurcir par le voile de l’habitude et de la lassitude, rester éveillé comme ces serviteurs des Evangiles qui ne cèdent pas à la tentation du sommeil.

Savoir maintenir son attention, qui est un autre nom de l’amour.


On trouve de nombreuses pensées de Simha Bounam de Pjyzha dans les Récits hassidiques recueillis par Martin Buber.

Aldor Écrit par :

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.