La vie large

André Derain, La danse (1906)

Paul Magnette présentait l’autre jour à Normale Sup, dans le cadre des intéressants mardis du Grand continent, son livre La vie large, dont le titre est tiré d’une réponse de Jean Jaurès à des opposants qui l’accusaient de vouloir instaurer l’austérité  : « Nous ne sommes pas des ascètes, avait-il  répondu ; nous voulons la vie large », sans qu’on sache d’ailleurs très bien ce qu’il mettait derrière ces mots.

Avec Paul Magnette débattaient Dominique Méda et Lucas Chancel. Mais ce fut un débat décevant car très vite, ce qu’il peut y avoir de nouveau dans la pensée du maire de Charleroi fut enserré dans les mailles de la pensée politique traditionnelle solidement (et bizarrement) maintenues par ses deux interlocuteurs : et la gauche dans tout ça ? Et les élections ? Et la croissance ?

Il ne s’agit pas de nier le rôle de l’économie, de dire que la richesse et la pauvreté, ça n’existe pas ou c’est sans importance ; mais de passer d’un monde et d’un imaginaire dominés par l’économie à un monde et un imaginaire où elle n’occuperait que sa place, qui est grande mais non prépondérante.

On voit se dessiner, avec notamment Aurélien Barrau ou Corinne Morel Darleux, avec le Paul Magnette qui tenta de parler d’épicurisme, de culture et de norme avant d’être recadré par ses acolytes, l’idée d’une pensée écologique décentrée de l’économie parce que travaillant à rendre toute sa place, toute son importance, à ce qui n’est pas l’économie, à ce qui ne se marchande pas, à ce qui ne se monétise pas : cette largeur de vie, que défendait peut-être Jean Jaurès contre le matérialisme du capital, qui est résistance à l’entreprise de vénalisation du monde, volonté de protéger et de créer des espaces imaginaires, culturels, sociaux et naturels abrités de la propension de l’économie à tout régir, à devenir l’aune universelle.

C’est pourquoi, même si la question peut aussi être abordée, le point focal du discours écologique ne saurait être la capacité du modèle à assurer croissance et richesse ; non seulement parce qu’à ce jeu, l’écologie part forcément perdante mais parce que son principe est justement dans le basculement, le changement de paradigme.

Vivre large, c’est reconnaître et réinvestir ce qui ne doit rien à l’argent, au pouvoir d’achat, à la consommation proliférante et prédatrice d’objets, de richesses, de ressources. Ce n’est pas chercher à valoriser monétairement les biens et les plaisirs gratuits, ou dire que les règles de la comptabilité ou les modalités de calcul du PIB doivent être revues pour en tenir compte ; c’est rompre avec cette confusion de la valeur et du prix.

C’est tout cela que Paul Magnette tenta timidement de défendre avant d’être rattrapé par la patrouille des sérieux.

Et pourtant, on peut bien se moquer d’Aurélien Barrau ; son appel à une révolution poétique et philosophique est certainement plus réaliste, plus profondément et réellement sérieuse que les espoirs de croissance verte et autres billevesées. Car c’est bien d’un nouveau sens, d’un nouveau rêve, d’une nouvelle compréhension du monde et de la place qui est la nôtre que nous avons besoin.

Et sans ce changement de notre imaginaire, rien ne se fera.

En musique, Bayati, de Georges Gurdjieff, dans une autre interprétation que celle ordinairement utilisée ici.

Aldor Écrit par :

Un commentaire

  1. 16 décembre 2022
    Reply

    Il faudrait bien que ceux qui tirent les ficelles de l’économie prennent exemple sur l’école de psychologie de Palo Alto. Lire Paul Watzlawick. Quand ÇA ne marche pas, il y a de grandes chances que plus de ÇA marche encore plus mal. Alors, moins de ÇA ?
    Une belle journée à toi, Aldor.

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