Il y a cette femme croisée hier dans la rue. Elle se tenait bien droite, la tête haute, le cou tendu, et avançait cependant d’une démarche chaloupée, en « grand vaisseau qui prend le large ». Il y avait, dans la grâce de son amble, une impressionnante dignité.
Quelques jours auparavant, j’étais à Rouen. Dans cette ville qu’elle hante, plusieurs statues représentent Jeanne ; j’aime celle de Georges Saupique, exposée dans la cathédrale, qui montre la jeune fille enchaînée priant et méditant dans les flammes du bûcher. C’est une autre figure de la dignité.
Je me souviens d’un groupe de Masaï croisé il y a longtemps en Tanzanie. Ils allaient sur le bord de la route, drapés de rouge et se tenant la main, tandis que filaient des 4×4 blancs et gris. La simplicité de leur attitude, cette simplicité dans un dénuement coloré était une dignité.
Il y a cette lettre, écrite depuis le camp de Westerbork par Etty Hillesum, où elle raconte le soin et le temps passés à maquiller et coiffer, quelques heures avant qu’elle ne parte dans un convoi vers le néant, une jeune fille éperdue. Ce baume déposé quand tout était perdu était une dignité.
Au croisement de la rue de Tournon et de la rue de Vaugirard, face au Sénat, à Paris, se tient tous les matins, pancarte au cou, un homme qui souhaite ainsi protester contre je-ne-sais quelle décision relative aux comptes à l’étranger. La persévérance de cette mise en scène un peu ridicule lui construit une sorte de dignité.
Face à l’adversité et à la veulerie des hommes qu’elles côtoient, les magnifiques héroïnes de Trois femmes puissantes, de Marie NDiaye, se battent, sans en faire trop mais sans baisser la tête, sûres de la justesse de leur cause. Elles incarnent la dignité.
Cette tête qui n’est jamais baissée me fait penser à Blanquette, qui, elle, baisse au contraire la tête pour affronter le loup de ses petites cornes. Elle est digne, la chèvre de Monsieur Seguin, qui décide de mener un combat qu’elle sait perdu d’avance.
La dignité est une de ces choses vraies et profondes dont la vérité se décèle à leur palpitation, à leur vibration incessante, à leur retournement toujours possible. Elle est parfois dans l’acceptation de son sort, de son corps, de sa laideur, de sa beauté ; dans l’abandon fluide à l’instant, au mouvement des choses, au destin ; et parfois dans l’exact contraire : le refus de ce qui nous est imposé, la célébration de notre être et de sa liberté.