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Lignes

  • Oncle Bernard

    mars 27th, 2022

    Mail de Jacques, avant-hier soir, rempli de références et d’allusions auxquelles, comme d’habitude, je ne comprends rien. Il évoque à un moment l’Oncle Bernard et un court instant (très très court instant à vrai dire ; je suis vaniteux mais réaliste) je pense que c’est moi dont il s’agit. Mais non, évidemment, c’est de Bernard Maris, qui publiait sous ce nom ses articles de Charlie Hebdo.

    J’aimais beaucoup, comme tout le monde je pense, Bernard Maris, dont j’écoutais les chroniques avec un un grand plaisir ; et avec son souvenir, réveillé par Jacques, revient celui du massacre de Charlie Hebdo et cette question lancinante et générale : comment peut-on tuer pour convaincre, comment peut-on vouloir effrayer ceux dont on recherche l’adhésion, comment peut-on vouloir contraindre un consentement qui n’a de valeur que librement accordé ?

    Contrairement aux conquêtes militaires et à la guerre, ce qui fait la valeur de la croyance, de la foi, de l’amour, du don, c’est évidemment qu’ils sont librement et joyeusement donnés, épousés, consentis. Comment peut-on ne pas comprendre que, forcés, ils ne sont plus rien ?

    Comment peut-on être assez dépravé pour ne pas comprendre cela et pour massacrer ses opposants, imposer une adhésion ou une foi par la terreur, violer ? Insondable et terrible mystère.

    À cette position, qui est de principe et absolue, deux compléments qui ne la contredisent pas mais en éclairent les limites au sens des asymptotes et de la géométrie : la première est qu’il faut parfois contraindre les méchants pour éviter qu’ils ne fassent du mal ; la seconde que, si le consentement ne peut jamais être forcé, la reconnaissance ou l’acceptation peut l’être.

    Les méchants, c’est facile : on ne laisse pas l’assassin en paix parce que non seulement sa croyance mais ses agissements sont mortifères. Pour la reconnaissance ou l’acceptation, c’est plus compliqué, plus délicat aussi car moins impératif. Mais enfin c’est ainsi : il faut parfois, pour qu’une chose soit vraiment établie et qu’on puisse la dépasser pour aller de l’avant, qu’elle soit explicitement reconnue, acceptée. Il faut, pour débloquer ce qui est empêtré et continuer à vivre que des rituels de deuil soient suivis, et que des mots – d’excuse, de remerciement, d’amour et parfois tout cela en même temps, n’est-ce pas K. ? – soient prononcés. Et comme, tant que ces gestes n’ont pas été faits ni ces mots prononcés, tout est figé et suspendu, contraindre leur expression peut être légitime.

    Mais hors ces cas asymptotiques, comment ne pas voir que, dans la contrainte, meurt l’objet du désir, qui est d’être librement choisi, désiré, épousé, et qu’il n’en reste qu’un goût de cadavre, de sang et de cendre, un dégoût ?

    Salut Bernard, et merci Jacques.

  • Malédiction de la beauté

    mars 9th, 2022
    Léa Seydoux, dans une publicité pour (c) Louis Vuitton

    Il y a une malédiction de la beauté qui pèse sur les femmes ; mais pas seulement sur elles.

    Quand elles sont belles, on leur demande de cacher leur beauté. Et de se cacher, elles, lorsqu’elles ne le sont pas.

    Les orthodoxes de tout poil et de toute religion, les Tartuffes, crapauds et grenouilles de bénitier voient la beauté des femmes comme un début de détournement de conscience : la chair, faible, serait menée hors du droit chemin par la vision du charme et de la grâce, l’enchantement des sens. La lutte contre la perdition exigerait donc de couvrir, de cacher, de reléguer ce qu’on ne saurait voir sans chuter ou être envahi de pulsions irrépressibles : à l’étage les femmes !, dit la synagogue ; Pas ici !, clame la mosquée.

    D’autres (et souvent les mêmes) demandent aux femmes de ne pas se montrer lorsqu’elles ne remplissent pas, ou plus, les canons de beauté : hors de ma vue, sorcières qui insultez la création ! Cachez vos défauts, vos rides, vos cheveux blancs ! N’avez-vous donc pas honte de vous donner ainsi en spectacle ?

    Derrière ces exigences contradictoires adressées aux femmes, celles adressées à la beauté, qui nous fascine et nous effraie. Et derrière elles, si peu discrète, la peur atavique des choses attrayantes, du fruit défendu. Crainte de ce que, derrière l’apparence, la séduction, Mélusine, ne se cache une réalité sombre et amère, serpentine : trop belle pour être honnête, trop beau pour être vrai !

    L’habit ne fait pas le moine mais nous nous savons si sensibles à l’habit que nous voudrions revêtir celui-ci d’une bure grise et rêche, pour ne pas nous laisser captiver, pour ne pas nous laisser émouvoir.

    Et dans le même temps, pourtant, nous célébrons la beauté, incarnation de celle de l’âme, expression de la perfection divine : Ô la beauté des corps dansant dans un ballet, Ô beauté du visage de Marie !

    De cette contradiction jamais nous ne sortons : la beauté porte en elle les affres, les vicissitudes, les tribulations de l’incarnation. Et parce que les femmes sont, chez les humains, beaucoup plus assignées à leur corps que ne le sont les hommes, elles portent sur leurs épaules l’essentiel de cette ambivalence, de cette injonction perpétuellement contradictoire : être belle mais ne pas en faire trop ; rayonner tout en restant discrète.

    La conception classique de la féminité s’est construite le long de cet étroit chemin. Chemin magnifique mais impossible à suivre et qui, au-delà des femmes, illustre le destin de l’Homme, à jamais écartelé entre le ciel et la terre, le matériel et le spirituel, l’animal et le divin.

    C’est en ce sens aussi que la femme est l’avenir de l’homme : en ce qu’on lui demande, et lui prête le pouvoir, d’incarner l’humain en la pointe extrême de sa magnificence, en sa déchirure essentielle.


    PS : S’agissant de la mosquée, je dois corriger mon propos : les préceptes de l’Islam n’interdisent nullement l’accès des femmes aux mosquées. C’est seulement une conception misogyne du culte qui conduit certaines communautés religieuses rétrogrades à pratiquer cette exclusion.

  • Défaite du cynisme

    mars 3rd, 2022
    Fleur de cerisier
    https://improvisations.fr/wp-content/uploads/20220303cynisme.mp3

    Je ne sais qui sortira vainqueur de l’agression de l’Ukraine par la Russie.

    Ce que je sais et vois et qui me stupéfie, c’est la défaite du cynisme,

    La défaite de tous ceux (et certes j’en fais partie !)

    qui pensaient que :

    • les choses étant ce qu’elles sont,
    • les loups étant les loups, les agneaux les agneaux,
    • une omelette ne pouvant être préparée sans casser des oeufs,
    • la guerre faisant toujours des victimes parmi les innocents,
    • et autres calembredaines dont nous nous ressassons à longueur de journée,

    On s’accommoderait de ce malheur supplémentaire,

    De la douleur, de la souffrance, du deuil, de la destruction,

    De ces familles ravagées et jetées sur les routes,

    comme on le fait de de tant de choses,

    comme on le fait de tout le reste.

    Mais non ! Cela n’a pas été le cas !

    La jeune et enfantine conscience s’est levée

    Pour dire que même le premier mort était de trop,

    Pour rappeler que rien : ni le passé, ni la loi du plus fort, ni la conscience bien sentie de nos intérêts,

    Ne justifient qu’on tue, qu’on blesse, qu’on attaque

    Qui ne nous avait rien fait.

    Et cette défaite en rase campagne

    Du cynisme sûr de lui et si souvent triomphant

    Plus que tout me réjouit.

  • « Life never becomes a habit to me. It is always a marvel »

    février 27th, 2022
    La mare à la Ricarde, près de Bourron-Marlotte
    https://improvisations.fr/wp-content/uploads/mansfield.mp3

    « Life never becomes a habit to me. It is always a marvel » a écrit Katherine Mansfield, comme le rappelle une plaque apposée sur un rocher de la forêt de Fontainebleau, où elle aimait se promener tandis qu’elle séjournait à l’institut de Georges Gurdjieff, à Avon, non loin de là.

    Je ne suis finalement pas d’accord avec cette pensée ; pas totalement du moins. Je crois qu’il faut pouvoir et savoir saisir, de chaque parcelle, de chaque instant de notre vie, son caractère merveilleux et miraculeux, et que ceux qui ne le savent pas la perdent, ou du moins la gâchent. Mais je crois aussi que vivre effectivement chaque parcelle et chaque instant de notre vie comme une merveille et un miracle est le contraire de la vie.

    Je me promenais hier dans cette forêt de Fontainebleau que Katherine Mansfield avait tant aimée. Que de belles heures passées là ! Que d’instants d’admiration et de béatitude devant ces couleurs, ces parfums, ces sons ! Quel plaisir ressenti à respirer et à se mouvoir ! Mais il ne peut y avoir d’admiration ou de béatitude à jet continu. Non seulement c’est physiologiquement impossible (il faut, de loin en loin, reprendre souffle et désécarquiller les yeux) mais il y aurait, dans une attitude d’admiration continuelle, quelque chose de foncièrement faux et inauthentique, parce que contraire au mouvement de la vie, au plaisir même de vivre.

    Fleur de prunier

    Une grande partie du plaisir de vivre, comme du plaisir des vacances, vient du temps perdu, du temps gâché, de ce temps dérobé à la prétendue nécessité de profiter au mieux, de tout maximiser, de tout happer, de tout voir, de tout faire. Une grande partie du plaisir de la vie, comme des vacances, comme de l’amour, vient de l’abandon, du laisser-aller, du lâcher-prise. Lâcher-prise non pas dans le sens d’une focalisation artificielle sur un instant présent dont il faudrait tirer tout le suc mais dans celui d’une défocalisation générale : souffler et perdre son temps, faire la sieste.

    On ne peut à la fois vivre et vouloir vivre comme si la vie nous était un cadeau précieux. Elle nous est un cadeau précieux, Ô combien ! Mais on ne peut pas la vivre ainsi. Et aussi paradoxal que cela puisse paraître, le plus bel hommage qu’on puisse rendre à la vie est, comme le proposait si justement Fanny Ardant, de la vivre avec désinvolture.

    La plaque à la mémoire de Katherine Mansfield, non loin de la Tour Denecourt
  • Souligner

    février 22nd, 2022

    Que souligne-t-on, dans les textes qu’on souligne, sur ces pages que notre crayon a marquées parce que, à leur lecture, quelque chose nous avait saisi ?

    C’est parfois ce qu’on approuve, qui confirme notre propre jugement. Parfois ce qu’on désapprouve et qui nous paraît critiquable. Parfois encore (le plus souvent peut-être mais ça n’est pas certain) ce qui nous entraîne, nous donne des idées, nous ouvre une porte, élargit notre horizon.

    En cela la lecture est proche de l’amour. On en attend ce qui rassure, conforte et apaise ; mais aussi ce qui provoque, étonne, dérange ; et on y cherche plus que tout la porte des étoiles, ce qui nous conduit d’un monde à l’autre, nous emporte et nous transporte.

    A condition de le vouloir, bien sûr, d’accepter d’y lire autre chose que le reflet de nos propres idées.

    A condition d’y chercher autre chose que soi-même – de savoir y distinguer autre chose que soi-même.

  • Insouciance

    février 18th, 2022

    Jamais jusqu’à ce matin je n’avais mesuré l’ironie cruelle du refrain de la si belle chanson de Serge Reggiani : «  Il suffirait de presque rien, peut-être dix années de moins ».

    Pas de raison particulière à cela, pas d’événement qui m’aurait brutalement rappelé que la vie a une fin, d’autant plus proche qu’on vieillit, et que vient un âge où dix années sont très loin d’être rien. Pas de raison particulière, sauf peut-être le spectacle des jeunes pousses sur les arbres.

    Combien de fois l’ai-je vue, cette merveille, chaque année miraculeusement répétée : une feuille sortant du bourgeon et offrant la tendresse de son vert au ciel (et à l’appétit des oiseaux). Combien de fois l’ai-je dédaignée dans la belle, heureuse et légitime insouciance de la jeunesse. Il a fallu longtemps pour que je l’apprécie !

    Et tant mieux ! Que serait le bonheur de vivre, que serait la vie si l’on devait, à chaque instant, se préoccuper du temps qui reste et ouvrir grands les yeux et la bouche pour ne rien en gâcher ?

    Il faut, pour jouir de la vie, en user avec légèreté ; peut-être même avec dédain.


    NB : Les paroles de la chanson ne sont d’ailleurs pas de Reggiani mais de Jean-Max Rivière.

  • Les seins de Dalida et les pieds de Montaigne

    février 16th, 2022

    Rue des Écoles, en face de la Sorbonne, Montaigne trône, les jambes croisées. À Montmartre, sur la place qui porte son nom, Dalida regarde le monde passer.

    L’habitude (et la superstition) se sont installées de toucher ces statues de bronze, de les caresser car cela porterait chance. Et ont été pour cela choisis les seins de Dalida et les chaussures de Montaigne, qui brillent d’or aujourd’hui dans la patine du bronze.

    Cette irruption du toucher, du charnel, du magique, dans la relation difficile que nous entretenons avec les morts, comme ces pierres qu’on dépose parfois sur leur tombe pour signifier qu’on est passé par là et que d’eux, on s’est souvenu, ne me choque en rien, au contraire.

    Mais comment ne pas souligner la connotation très différente des parties du corps touchées dans l’un et l’autre cas ? Les seins de Dalida et les pieds de Montaigne, cela résume assez bien, malgré le contre-exemple du gisant de Victor Lenoir au cimetière du Père Lachaise, le regard différent que nous jetons sur les femmes et les hommes, l’importance différente que nous attachons à leur corps et, dans leur corps, à leurs attributs sexuels. Oui, décidément, même après leur mort, les femmes sont plus assignées à leur corps que ne le sont les hommes.

    En l’occurrence, toutefois, j’aime bien ce qui, dans chacun, fut choisi, pour rendre hommage au Montaigne voyageur et à la Dalida amoureuse.

    Je sais que certains voient, dans la caresse laissée sur les seins de Dalida, un manque de respect. Je comprends leur réaction. Certes, avec la Dalida vivante, on n’aurait pas agi ainsi, et heureusement ! Mais c’est d’un buste qu’il s’agit, d’une statue de métal. La Dalida, elle, est morte et enterrée. Et que, de ce personnage devenu poussière, on se souvienne surtout de l’amour, souvent malheureux, qu’il porta, de tout son corps, aux hommes, cela me paraît au fond plus sincère et bienveillant qu’irrespectueux et déplacé.

    Plus juste et plus sage.

  • L’objet du désir

    février 14th, 2022

    Après coup (cela soit dit sans grivoiserie)
    On se demande pourquoi à ce point,
    Pourquoi si intensément,
    On a été ému.

    Pourquoi, si profondément,
    Quelque chose a bougé,
    En nous jailli,
    Bouleversé par ces formes :

    La courbe des cils et du nez,
    La mèche bouclant devant l’oreille,
    L’arc formé par le mollet,
    Les lèvres et la ligne des yeux ;

    La douceur arrondie des seins qui se devinent,
    Le sourire esquissé,
    Les paupières alourdies et le cou haut perché
    Sur la trompeuse fragilité des clavicules.

    C’est beau, oui : c’est joli, harmonieux, élégant ;
    Mais pourquoi cette soif et cet ébranlement
    Qui monte en nous de toucher, de happer,
    De nous lier ce corps et ce visage ?

    Pourquoi désir de posséder ?

    Je sais à quel point l’apparence est trompeuse
    Et pourtant ce n’est pas le corps qui est voulu
    Mais l’âme qui l’anime et sa vivacité
    Et le rire dans la bouche et l’éclat dans les yeux.

    Dans le corps désiré vibre la liberté :
    Vouloir, ne pas vouloir, accepter, refuser
    Créer, imaginer, pleurer, lutter, aimer,
    C’est cette liberté que le désir désire.

    C’est cette liberté que le désir caresse,
    De ce geste léger qui respecte et qui frôle,
    Qui dit et qui demande,
    Qui ne s’impose pas.

    C’est le consentement que le désir demande,
    Que librement la liberté abdique :
    Saut de l’ange porté par les ailes de la foi
    En l’amour authentique de l’Autre, qui demande.

    C’est la foi en l’amour que le désir demande
    Comme la Bête à la Belle dans le conte joli,
    Que le Soi, reconnaissant sa finitude,
    Accepte n’être pas l’Unique qu’il croyait être.

    C’est ce renoncement que l’amour commande,
    Renoncer à soi-même pour que l’autre advienne,
    Accepter de se perdre en cet autre que soi,
    Et renaître à soi-même en ce renoncement.

    Et le corps, dans tout ça, pourra-t-on demander ?
    Et le corps n’est rien d’autre que l’incarnation
    De l’âme, ce par quoi celle-ci existe au monde,
    Se manifeste et se matérialise.

    Et dans le corps, on aime le corps spirituel
    (Et que ricanent les malheureux qui ne l’ont pas compris).

  • Tort/tord

    février 6th, 2022

    Beaucoup de gens,
    Quand il s’agit d’avoir tort,
    Écrivent tort avec un d
    Car c’est la pensée qui se tord
    Dans l’erreur ou le mensonge.


    L’image représente un poste d’instruments de circulation joliment décoré à proximité du carrefour entre le Boulevard Auguste Blanqui et la rue Corvisart, à Paris. Une sorte de représentation de la conscience, de l’oeil surveillant Caïn.

  • Que son âme soit reliée au faisceau de la vie

    janvier 30th, 2022

    Que leurs âmes, à toutes et à tous, soient reliées au faisceau de la vie.

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