Heureux les riches en esprit (et en autre chose peut-être), Qui, grâce à leurs longues études, À leur science patiemment acquise, Savent que sans œufs cassés il n'est pas d'omelette.
Heureux les riches en esprit (et en autre chose peut-être), Qui, grâce à leur lucidité, Leur intelligence sans faiblesse, Savent prioriser Quand il s'agit du bien commun.
Heureux les riches en esprit (et en autre chose peut-être), Qui, dépassant les apparences, Savent que l'artifice n'est pas ce qu'on en dit : De l'acier, du ciment, du béton, du bitume, Mais un abri, un plus pour les fleurs et les bêtes : Un refuge à mollusques, une ombre pour les troupeaux, Quelque chose de mieux, une nature plus belle.
Heureux les riches en esprit (et en autre chose peut-être), Qui, Foin des ignorants et des âmes sensibles ! Acceptent, pour avancer, de tailler dans le vif : Abattre des forêts, Déloger de chez elles des espèces menacées, Planter des champs de plantes à carburant, Couvrir les lacs de grands panneaux flottants.
Heureux les riches en esprit (et en autre chose peut-être), Qui, dans leur bienveillance, Militent pour qu'il soit dérogé A ces réglementations tatillonnes Qui protègent la faune et la flore Mais freinent le progrès des énergies nouvelles.
Heureux les riches en esprit (et en autre chose peut-être), Qui sont prêts, Pour sauver le climat, À sacrifier la biodiversité.
Heureux les riches en esprit (et en autre chose peut-être), Un jour viendra peut-être où, Grâce à leur effort, Sur une planète privée de vie, Le climat sera rétabli.
Je ne puis m'empêcher, Quand je sors de l'eau, Béni soit le Docteur No ! Je ne puis m'empêcher, Quand je sors de l'eau, De me prendre pour Ursula.
Lissant mes cheveux de mes mains, Séduisant et théâtral, Lissant mes cheveux de mes mains, Je m'avance, sculptural, Vers la plage bordée d'argent.
Un pied posé devant l'autre, Comme on voit faire les modèles, Un pied posé devant l'autre, Je m'avance, naïadant, Telle Vénus naissant des eaux.
Pourtant, je ne lui ressemble guère, C'est bien le moins qu'on puisse dire ! Pourtant, je ne lui ressemble pas, A la belle Ursula.
Mais cela ne m'empêche pas,
Quand je sors de l'eau, hiératique,
Lissant comme crinière les trois cheveux qui restent,
De faire mon cinéma, rouler des mécaniques,
Et me prendre pour Ursula.
Une bise pour France, une bise pour Nino,
Et vive le cinéma,
Et vive le Docteur No !
Je me berce souvent de cette illusion Qu’il suffirait que j’ai le bon outil Pour que surgissent de mon esprit et de mes mains Les chefs d’œuvre que je porte en moi.
Ah ! si seulement j’avais le bon stylo, Les bonnes chaussures de marche, La bonne scie sauteuse, Le monde entendrait parler de moi Et saurait la grandeur de mes talents !
C’est ridicule, n’est-ce pas ? Et pourtant, Et pourtant il y a là une part de vérité, Minime mais réelle, Qui consiste en cela qu’on essaie De se mettre au niveau des outils qu’on emploie.
Ah ! si seulement j’avais le bon stylo, Les bonnes chaussures de marche, La bonne scie sauteuse, Le monde entendrait parler de moi Et saurait la grandeur de mes talents !
Comme la Bête tombée amoureuse de la Belle Peut, à force d’amour, devenir Prince charmant, Le crapaud tout vilain beau comme une princesse Et l’aimant devenir digne de celle qu’il aime, La main peut se hisser au niveau de l’outil.
Ah ! si seulement j’avais le bon stylo, Les bonnes chaussures de marche, La bonne scie sauteuse, Le monde entendrait parler de moi Et saurait la grandeur de mes talents !
On se hausse, on se hausse, on se hausse un peu,
Mais on demeure toujours quand même les pieds sur terre,
Et notre main, bien que dotée du bon outil,
Ne se transforme pas en celle d’un génie !
Ah ! si seulement j’avais le bon stylo, Les bonnes chaussures de marche, La bonne scie sauteuse, Le monde entendrait parler de moi Et saurait la grandeur de mes talents !
Quelque chose manque dans ces visages masqués, Et ça n’est pas la bouche ; et ça n’est pas la bouche. Quelque chose manque dans ces visages masqués, Et c’est aussi le nez.
Sans la bouche, tous les yeux manquent de cette chose là Qu’on nomme intention dans les cours de théâtre : Cette façon de signifier ce que l’on veut, Le sens, finalement, de tout ce que l’on fait.
Sans la bouche, les yeux ont un air panique, Ou vide, ou impassible, ou dénués d’envie.
Mais le nez… Le nez, c’est autre chose : Une quille plutôt, ou bien un gouvernail, Quel chose qui montre de quel côté l’on va, Quelle est la direction.
Les visages sans nez ressemblent à des boules, À ces faces sans devant et derrière, sans axe, A cet Humpty Dumpty qu’on trouve chez Alice, Et qui est tout le contraire de Cyrano : Un crâne d’œuf sans aspérité et tout lisse.
Quant aux masques portés sous le nez comme souvent, Ce nez, alors, envahit la figure, Qui n’est plus alors que cela : Un promontoire dressé sur une bouche absente, Et, dans chaque visage, on voit une Yubaba.
Allant de masque en masque dans les rues de Paris, De nez masqués en démasqués, Je croise Humpty Dumpty, je croise Yubaba, Et me construis ainsi de nouvelles aventures, Celles de Chihiro au pays des merveilles.
Certains yeux, certains regards,
Dans la disparition de la bouche apparaissent.
On ne les voyait pas jusqu’ici et soudain,
Ils se démasquent sous le masque.
Et dans l’Orient de pacotille,
Qui se construit dans notre tête,
Dans les rues familières, à chacun de nos pas,
Nous croisons une Antinea.
Ô quelle étrange faculté
Que ce pouvoir de projeter
Nos fantasmes et nos rêves sur la réalité
Et de bâtir une Atlantide dans les rues de Paris !
Rue Garancière, ce matin,
J’ai croisé, avec ses lunettes,
Sa veste de cuir fourré,
Et ses yeux baladeurs menant partout leur quête,
Jean-Paul Sartre qui se promenait.
Au vu de cette écharpe et de cette silhouette,
À qui manquait la pipe et qui avait grandi,
Mais qui avait, du philosophe, l’exacte tête,
Je suis, sur mon vélo, resté comme saisi.
Puis, derrière Saint-Sulpice, disparut le sosie.
J’en connais une chère (elle se reconnaîtra)
Dont tous les mots écrits (et souvent les paroles)
Invariablement se terminent
En points de suspension.
Je m’y suspens,
Je m’y balance,
Au gré de mes humeurs et de mes passions
Cherchant à deviner ce qu’elle a voulu dire,
Ce qu’elle a, en trois points, voulu signifier.
Et je navigue ainsi au vent des émotions,
Sur la mer tempétueuse des interrogations,
Des doutes, des espoirs, des peines, des questions
Que soulève le triplet des points de suspension.
Ainsi, dans les procès des geoles staliniennes
L’accusation jamais n’était-elle précisée.
C’était à la victime – j’entends : à l’accusé,
De désigner son crime, de dire son forfait.
Il m’arrive moi aussi d’avoir ce travers
(Et tout à l’heure encore quand je lui ai écrit)
Mais exceptions à part, quant à moi je préfère,
Que ce que je veux dire soit tout simplement dit.
N’étant ni la Pythie, ni prêtre de Dodone
(Que connait celle-là et que je ne connais pas)
Je risque, à l’écoutée du feuillage des chênes,
(Comme à l’abîme qu’ouvrent les points de suspension)
De ne saisir rien, de ne comprendre pas.
Et me voici, Ulysse, condamné à errer,
(Un Ulysse qui, hélas, n’en a pas la malice),
Au milieu des Sargasses des sens inventés,
De l’océan glacial des interprétations,
Echappant à Charybde pour tomber en Scylla !
Tityre !
Tu patules, récubant sous les tegmines fages,
Muse sylvestre et tenue qui médite l’avène,
Nous, aux confins de la douce patrie, linquimons l’arve.
Nous fuyons le pays ; toi, Tityre, lent dans l’ombre.
De l’Amarylle formose tu fais les sylves résonner.