
Quittant les deux sœurs (je n’en pouvais plus des idioties qu’elles ressassaient sans que personne ne moufte, moi le premier, d’ailleurs, et j’en ai honte), j’eus la surprise et le plaisir de découvrir, posément installée sur un fauteuil Louis XV, Jeanne-Marie Leprince de Beaumont, à qui je voue, depuis toujours, une admiration sans bornes. Elle était une des rares humaines qui, comme moi (mais à plus juste titre !), avait été invitée à cette soirée de fées. Elle me fit rougir en m’accueillant d’un inattendu et très gentil : « Ah ! Monsieur Pennac, je suis bien aise de pouvoir enfin faire votre connaissance ». Stupéfait qu’elle sache mon nom, je la remerciai chaleureusement et nous bavardâmes un moment de Carabine, de Belle et de celles de nos amies les fées qui, faute de lectrices et de lecteurs, avaient fini par mourir d’oubli. Je sortis morose de cette conversation emplie de nostalgie et de peu d’espérance.
À peine m’étais-je éloigné que j’aperçus Clochette, la charmante et délicate Clochette. Elle voletait immobile, toute son attention focalisée sur un petit recoin d’où sortait, légère, une musique. C’était Librige qui déclamait : vêtue en Arlésienne, elle récitait des vers de Mistral d’une voix douce et chantante. C’était calme, reposant, et je suis resté longtemps à l’écouter et à la regarder, ravi comme le Ravi des santons de Provence.
C’est à ce moment là, tandis que j’étais plongé dans une sorte de béatitude, que, soudain, ou plutôt progressivement, elle m’apparut, comme émergeant de la blancheur d’un rêve : je ne l’avais pas vue s’approcher et maintenant elle était là, discrète et pourtant rayonnante, dans l’ombre et pourtant je ne voyais qu’elle. Elle était élégante mais souriante, candide mais malicieuse, austère mais cependant, je le sentais au fond de moi, débordante de tendresse et peut-être d’amour ; ses yeux, ses yeux sombres comme une porte ouverte sur les étoiles, m’appelaient comme un vertige, et sa bouche, fermée, énigmatique, esquissait un sourire où était contenue toute la douceur du monde.
Mon trouble dut se voir car mon voisin (je crois bien, avec sa perruque, que c’était Charles Perrault) s’approcha alors de moi : « Minité », me glissa-t-il à l’oreille, « c’est la fée Minité : de toutes les fées la plus puissante (et entre nous soit dit, peut-être la seule qui existe vraiment) ».
Fin.
L’image a été générée par Midjourney, à partir du prompt suivant : « A young woman of 25, very pretty, very feminine, with shoulder-length brown hair and large green eyes. She is a fairy and she holds a magic wand in her hand that glows. Dressed in a very chic Chanel suit, she stands in the middle of a modern art gallery in Paris on the day of the opening. She looks at the camera with a mischievous smile. Close-up of her face looking into the camera, Harper’s Bazaar cover style. »