Avait-il vu, de ses propres yeux vu, le mammouth de Durfort, Francois-Joseph, lui qui avait travaillé au Muséum et vécu à Alès, non loin de Durfort, où son squelette avait été trouvé ? Je ne sais pas. Mais c’est bien un mammouth, un mammouth trempant ses pattes et sa trompe dans l’eau, qui figure sur la photographie au dos de laquelle il a griffonné la date du 12 mars 1913 et sa signature.
Pas de lieu indiqué mais ceux qui connaissent Porquerolles reconnaissent Le Brégançonnet, sur la côte sud de l’île, non loin du Langoustier.
Quand ils découvrent la photo, en novembre dernier, elle est tellement incroyable que nos deux jeunes chercheurs croient d’abord à une plaisanterie, et soupçonnent le personnel des Archives de se moquer d’eux. Puis il faut se rendre à l’évidence : les paléographes sont des gens d’humeur sérieuse et la photo n’a pas été mise dans le carton 53 ; elle y était.
Les Archives commissionnent un graphologue, qui certifie que l’écriture est celle de François-Joseph Fournier. Et le LMC14, laboratoire du CNRS spécialisé dans les datations, confirme de son côté que le papier et les émulsions chimiques utilisées pour la photographie datent bien des années 1910, et qu’il en va de même des traces d’immortelles (helicrysum stoechas) piégés par les sels d’argent.
Le laboratoire de paléontologie du MNHN est également saisi. Il indique (précautionneusement, naturellement) que l’animal figurant sur la photo est un Mammuthus lamarmorae, dit mammouth sarde ; mais le lien est surtout immédiatement fait avec les dents de mammouth juvénile découvertes quelques mois auparavant à Porquerolles, dont on comprend soudain pourquoi elles étaient si peu abîmées.
Dans les cercles très restreints où la nouvelle (jusqu’à aujourd’hui !) circule, c’est un cataclysme : un mammouth à Porquerolles, on s’en fichait un peu ; mais un mammouth à Porquerolles et en 1913, et ce sont les bases les plus solides de la science qui vacillent : tendez l’oreille et vous entendrez monter, des chaires de paléontologie du monde entier, un chœur de plaintes et de prières : « Darwin, prenez pitié ! Lamarck et Gould, aidez-nous ! ».
Je me moque mais c’est pour cacher ma propre panique car tout cela est très déstabilisant : comment un animal disparu il y a au moins 4 000 ans et plus probablement 10 000 a-t-il pu survivre et se perpétuer, sur une toute petite île, jusqu’au siècle dernier ? Comment lui et ses ancêtres ont-ils pu échapper à l’observation de tous ceux qui, depuis les Phocéens du VIème siècle avant JC, ont vécu ou ont du moins largement arpenté les chemins de l’île ? Et pourquoi François-Joseph Fournier, homme rationnel ayant la tête sur les épaules, pourquoi n’a-t-il rien dit, lui qui avait vu et même photographié l’animal ?
Depuis un mois, débarquent à Porquerolles des chercheurs venus du monde entier. Ils fouillent, grattent, mesurent, analysent, à la recherche de tout indice.
Moi je n’ai rien, mais j’ai bavardé avec Antonin. Je vous en parlerai la prochaine fois.
À suivre.
Faut-il le préciser ? Tout cela est pure invention (et l’image a été générée par Midjourney).