Antonin m’a appelé il y a quelques jours, après la parution du premier papier de cette série. Il avait « des choses à me raconter ». J’ai sauté dans le train, puis le bus, puis la navette, et l’ai retrouvé à l’Escale, où il sirotait une Suze.
Antonin est pêcheur. Enfin, maintenant il approvisionne Sabine en vieilles cartes marines mais avant il était pêcheur. C’est lui qui fournissait en poisson l’Arche de Noé, avant que celui-ci ne devienne n’importe quoi. C’était du temps de Jean Rochefort et de Mylène Demongeot, le temps d’avant Chanel et Carmignac.
Antonin me raconte que mon histoire de mammouth lui a rappelé un souvenir, le souvenir bizarre d’un incident étrange : en 2018 (il avait déjà pris sa retraite), une prétendue baleine s’est échouée, sur la côte nord de l’île, qui fait face au continent, du côté de l’Aiguadon. Et à peine la nouvelle a-t-elle été connue que l’accès à la crique a été interdit par des agents du Parc national, soit-disant pour des raisons sanitaires.
Il se souvient que c’est cette explication qui l’avait fait tiquer, et pour me convaincre, il me fait son grand numéro à la Pagnol : « Sûr que je ne ne suis pas savant comme tous ces messieurs-dames du Parc, mais ce que je sais, avec ma petite expérience de pêcheur, c’est que, depuis que le monde est monde, des baleines qui crèvent, il doit y en avoir eu un certain nombre ; qu’il est plus courant (Enfin ! Je pense) qu’elles s’échouent sur les côtes que sur le sommet du Mont Ventoux, et que si l’on devait, à chaque fois qu’un poisson se retrouve le ventre en l’air, établir un cordon pour raisons sanitaires, il n’y aurait plus beaucoup de bateaux pour naviguer sur la grande bleue !… Enfin, j’dis ça j’dis rien. ».
Il enchaîne sur la Lycastre, le monstre mythique de Porquerolles, dont l’île aurait été débarrassée par un vaillant chevalier : « Tu sais qu’on ne sait pas très bien à quoi elle ressemblait ; certains parlent d’une sorte de tarasque, d’autres d’une sorte de dragon… pourtant c’est pas la même chose… Et puis y a la sculpture de Barceló, à l’entrée de la fondation, et j’ai pensé à elle, en lisant tes histoires de mammouths… je ne sais pas comment il a fait, le Catalan, mais j’crois qu’il a compris quelque chose, une intuition, une illumination… elle m’intriguait cette sculpture, mais grâce à toi j’ai compris : c’est un mammouth, c’est évidemment un mammouth. Ces histoires de palmes, c’est pour la galerie…c’est un mammouth qu’il a vu en venant ici ! »
La Lycastre l’inspire, l’ami Antonin : « Tu sais peut-être qu’il y a très longtemps, au IIème ou IIIème siècle, je crois, bien avant le père Séraphin, des moines ont débarqué ici, des ermites, pour s’isoler et prier. Et tu sais quoi ? Ils étaient seuls mais au lieu de s’installer dans la plaine ou sur le rivage, ils se sont installés en haut de la crête des Mèdes, à l’endroit le plus impossible de l’île, loin de tout. Eh bien moi je dis que, même s’ils étaient un peu fadas, ils n’auraient pas fait ça s’il n’y avait eu, plus bas, quelque chose d’effrayant. ».
À suivre
Faut-il le préciser : tout cela est pure fiction.