Évidemment, nul ne sait ce qu’il pense, le colibri, quand il va, transportant sa petite goutte à travers la forêt en flammes.
Mais tout de même ! Il a sûrement la foi du charbonnier, pour poursuivre ses dérisoires efforts ; de ce charbonnier fabriquant du charbon dans les sous-bois par qui la catastrophe est probablement arrivée.
C’est un homme simple, ce charbonnier, du genre à ne pas couper les cheveux en quatre ; un homme simple voire franchement frustre, ne cherchant pas midi à quatorze heures. Le diable, un jour, vient le voir, et lui demande en quoi il croit. « En ce que l’Eglise croit« , répond notre bonhomme. « Et en quoi croit-elle ? » le relance le diable. « En ce que je crois« , rétorque notre simplet, fermant sa bouche au Malin.
« Ça ne sert à rien« , nous serine à longueur de journée notre diable intérieur, qui a toujours réponse à tout quand il s’agit de ne rien faire. Il y a la Chine, les SUV, les pétroliers ; le permafrost, les glaciers, les coraux : les pets de vache, les États, les avions ; les méchants, les sceptiques, les égoïstes ; les C’est trop tard, les À quoi bon ?.
Il doit bien se le dire, aussi, le colibri, que c’est inutile et même assez ridicule, ce rôle de sauveur qu’il se donne. Il doit y penser, au triangle de Karpman, à la bonne conscience, à la vanité et à tout ce que pourraient lui dire et pensent déjà peut-être les esprit forts qui le voient s’agiter en tous sens.
Il doit rougir de sa simplicité, de sa naïveté, de sa pitoyable crédulité, de son incapacité à adopter un point de vue adulte et constructif sur les choses, un point de vue réaliste et efficace.
Il doit rouler dans sa mémoire les mots d’Hermione à Antigone ; toute cette sagesse putréfiée comme la lavande des armoires à linge ; tout ce parfum devenu poussière ; toute cette vie devenue pierre.
Il doit se dire ça, le colibri : que ce n’est pas malin, pas efficace, pas pertinent, cette goutte d’eau dans son bec. Et pour qui se prend-il ? ; il pète vraiment plus haut que son cul ; croit-il vraiment que le monde l’ait attendu, lui qui n’est même pas gros comme une souris verte ?
Il doit entendre tous ces chants de désespérance résonnant dans sa petite tête. Et il doit, occlusant les oreilles de son âme, allant jusqu’au fond de lui-même, songer au charbonnier et à sa foi obtuse.
À son manque de finesse qui lui permet, face au Malin, de ne pas vouloir jouer au plus malin ; de ne pas même y songer, du fond de son insondable bêtise ; et de faire seulement ce qu’il doit, sans en chercher l’utilité ou la raison,
Comme on aime, parce que c’est ainsi.
Quelques petites corrections apportées le 9 juillet, pour préciser le métier du charbonnier et la taille de la souris verte.
Et j’ai tout réenregistré car le premier enregistrement ne me convenait pas.
Et finalement, j’ai changé le titre.
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