En ce temps là, la mode, chez ceux de la Haute, était de se faire refaire la cérébrale. Et dans les rues chicottes de la Worldtown : la Fifth, Bond Street ou le Faubourg, on trouvait des boutiques classieuses de style anglish, avec boiseries, plaques de cuivre, lumières chiaudasses et tout le tremblement, des boutiques de visages avec peau, yeux, bouche, cheveux, nez, dents, tout ce qu’il fallait, jusqu’aux sourcils et au grain de beauté ; tout ce qu’il fallait pour devenir autre que ce qu’on était.
Dans les vitrines (toujours immaculées ; je me demande bien comment ils faisaient pour essuyer à chaque instant la poussière, la cendre et les crachats qui, partout ailleurs, s’incrustaient dans les murs) ; dans les vitrines on voyait exposés les masques pour le tout-venant, ceux genre beauté fatale, zombie, platinasse demeurée ou sorcière d’Halloween. Mais ceux qui se sentaient la force de pousser la porte (et qui avaient le flouze pour le faire parce que ça n’était pas avec des moufflettes de deux qu’on pouvait espérer se faire bistouriser le ragondin), ceux-là pouvaient trouver, en insistant et en graissant, à coups de liasses épaisses, la patte des vendeurs pour accéder aux arrières-salles ; ceux-là pouvaient trouver des choses beaucoup plus originales et sophistiquées, des choses beaucoup plus particulières, spéciales, recherchées, des visages de choses que, dans nos cauchemars, on préfère ne pas croiser.
Il fallait du pèze, du tempérament mais aussi en vouloir vraiment parce que le changement de visage, c’était pas comme mettre un masque pour le bal. Ça prenait du temps : une journée à poireauter à la clinique, à poireauter sous anesthésie parce que l’application était pénible, pas vraiment douloureuse mais trop picotante pour qu’on risque de tout rater parce que l’envie vous était soudain venue de vous gratter le nez ou de rire d’une blague débile. Ça prenait une journée pour mettre, et une autre pour revenir à l’état d’avant. Mais entre les deux, c’était le carnaval de Venise en cent fois better, l’illusion d’être vraiment un autre.
Et pour vivre et revivre cela, y en avait qui sacrifiaient tout et qui à la fin n’étaient plus rien, plus rien que des zéligues vidés d’eux-mêmes.