La petite femme aux allumettes

C’était une femme recroquevillée sur le seuil d’une porte, rue du Faubourg Saint-Honoré. Sur ses genoux repliés, elle serrait une couette, et elle regardait le monde de ses yeux clairs et tristes.

Elle faisait penser à la fois à Andersen, et à cette belle femme, plongée dans la crise américaine avec ses enfants, que Dorothea Lange a photographiée, en 1936, en Californie.

C’est son assise sous un porche, sa couverture et la finesse de ses traits qui rappelaient ces deux icônes de la pauvreté, la petite fille aux allumettes, et cette Florence Thompson, « Mère migrante » abritée sous une tente durant la crise des années Trente. Elle aussi paraissait avoir tout perdu, hormis cette couette sur ses genoux.

Je suis passé d’abord sans la voir – je veux dire : en détournant volontairement les yeux ; puis me suis arrêté, retourné et suis revenu vers elle.

C’est cela qui est difficile parfois : non pas aller mais s’arrêter et revenir quand on avait décidé de ne pas voir.

Ce n’est pas le plus difficile au monde. Il y a des choses bien plus difficiles, évidemment, et plus pénibles. Mais il est plus difficile de revenir que d’aller parce que c’est reconnaître une erreur de jugement ou d’attitude, et qu’il est plus facile de persévérer et de s’entêter que de reconnaître cela.

Et puis il faut aussi, pour revenir, ne pas s’arrêter à cette idée, qui a pourtant aussi sa part de vérité, qu’on ne fait, ce faisant, que s’acheter une bonne conscience à petit prix. Même à la tentation décourageante de cette idée, et à l’idée qu’elle est peut-être vraie, il faut résister.

Résister aussi au malaise qu’on peut éprouver à l’idée qu’il est sans doute injuste de lui venir en aide à elle, sous prétexte qu’elle rappelle une photo ou un personnage de conte, alors qu’il y en a tant d’autres qui mériteraient comme elle d’être aidés – et c’est pourtant la stricte vérité.

Ce à quoi il faut résister, c’est à l’orgueil de la perfection, à l’idée que les choses ne devraient être faites ou n’ont de valeur que si elles sont parfaitement faites – ce qui est le meilleur moyen de ne jamais rien faire.

C’est à ce mouvement d’orgueil qu’il faut résister, sans pour autant verser dans le contentement, comme on avait justement craint de le faire.

Essayer dignement, simplement, de tenir les deux bouts en faisant au mieux.


Photographie : Dorothea Lange : Migrant Mother (1936), (c) Library of Congress

Aldor Écrit par :

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