
Elle était en retrait, toute fine, toute droite, à demi assise sur l’extrémité de la chaise, le pied cambré dans de petits mocassins vernis et les jambes prêtes à s’élancer. Elle était attentive, infiniment attentive à lire de loin les notes sur la partition, à écouter celles qui sortaient du piano pour pouvoir, au moment opportun, au moment exact où il le faudrait, se lever et venir discrètement, rapidement, efficacement, tourner la page du livret posé sur le pupitre, et permettre au pianiste, au grand pianiste qui jouait ce soir là, de poursuivre, sans rupture, son enchantement.
Toujours attentive, toujours tendue, prête à bondir quand, à l’oreille, la dernière ligne de la page serait atteinte, ou que la feuille, comme cela arrive parfois (et cela d’ailleurs arriva), déciderait, on ne sait pourquoi, de revenir en arrière, de se relever et de se reposer sur la page précédente, empêchant l’interprète de voir les notes à jouer.
Elle était là, aux aguets, veillant à ce que rien n’interrompe le charme, que rien ne déplace les lignes.
Elle était là, vierge sage veillant au déroulement des choses. Et lorsque le pianiste eut terminé de jouer, que le silence remplaça la musique, elle se leva, prit la partition sur le pupitre puis partit comme une fée, légère, dans les coulisses, ombre se retirant dans l’ombre tandis que les applaudissement fusaient.
Je suis tombé un peu amoureux d’elle, de son maintien simple mais hiératique, de sa discrétion presque hautaine, de l’élégance immense avec laquelle, ayant rempli son office, elle s’était effacée.
En illustration sonore, derrière ma lecture, l’andante, op. 11-1 d’une romance de Clara Schumann, interprétée par Isata Kanneh-Mason.