Dans Le songe d’une nuit d’été, William Shakespeare met en scène Puck. C’est une sorte de lutin, un farfadet, compagnon du roi des fées, qui se présente lui-même en ces termes : « I am that merry wanderer of the night » : je suis le joyeux vagabond de la nuit.
Voilà bien une chose qui nous manque, et depuis longtemps : de joyeux vagabonds de la nuit, des êtres légers et farceurs qui sachent nous arracher à la pesanteur des temps et à notre esprit de sérieux.
Ce n’est pas que les difficultés du monde : l’effondrement de la biodiversité, le dérèglement climatique, la pollution, la misère, la violence, la souffrance – soient négligeables ou surfaites. Non ! elles sont dramatiques et, malgré tous nos mots, empirent de jour en jour. Mais c’est une question d’énergie, de joie et de grâce, de légèreté.
Nous croulons sous le poids des choses et des idées lourdes et sérieuses, sous le fardeau d’une pesanteur devenue le signe de notre présence au monde : lourdeur de nos villes, de notre bitume, de nos usines, de nos machines, de nos voitures, de nos navires ; lourdeur de nos lois, de nos règles, de nos normes, de nos religions, de nos habitudes. Nous sommes devenus comme ces dinosaures d’antan, ces grosses bêtes disparues de n’avoir pu s’adapter comme avaient su le faire les mammifères et les oiseaux, parce que trop pesantes, trop inertes.
Nos sociétés industrielles sont devenues dévoreuses de matières, de métal, de charbon, de pétrole, de terres rares, d’eau ; et nous sommes devenus incapables de nous en passer, le moindre de nos gestes déclenchant une débauche d’énergie, une salissure supplémentaire, le pillage d’une autre ressource.
Quelque chose, dans la belle histoire de l’humanité, s’est cassé avec la mort de Pan, de ce grand Pan dont la mort est annoncée à Thamous tandis qu’il croise au large de Paxos. Quelque chose dont Puck, le farfadet, est comme l’héritier.
Puck est l’espièglerie mais aussi la nature. Il pourrait être un faune ou un sylvestre, ou encore un de ces esprits de la forêt de Princesse Mononoké. Il est moqueur et espiègle parce qu’il incarne cette nature qui toujours dérape et gaffe, toujours échappe à la stricte raison, à cette prétention humaine de vouloir tout dominer, tout régenter, tout mettre sous sa coupe.
Puck, comme Pan, sont des créatures païennes, des créatures de ces temps d’avant les monothéismes qui prétendirent faire des êtres humains les maîtres du monde à qui la création était confiée. Leur espièglerie est un hommage rendu au caractère incontrôlable, incompréhensible, foncièrement ironique du monde, et un pied de nez tiré à nos grandes théories vaniteuses et fumeuses.
C’est de cela que nous avons besoin : d’air, de légèreté, et de redevenir capable d’aller sur les routes, comme de joyeux vagabonds.
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