L’eau fraîche

On aimerait tant pouvoir se contenter
De la beauté d’un filet d’eau coulant dans le soleil,
Pouvoir passer sa vie à regarder la mer,
Les nuages et les forêts d’automne,
Les étoiles dans le ciel.

On aimerait tant pouvoir se contenter
De l’eau qui désaltère,
De cette fraîcheur qui coule dans la bouche et qui redonne vie,
Du parfum de la fraise, de la pomme qu’on croque.

On aimerait tant pouvoir se contenter
De la saveur, de la splendeur des choses simples !

Mais des choses simples
(Si belles pourtant ; on était sûr d’en être éblouis à jamais !),
On finit presque toujours par se lasser
(Aussi triste soit-on de cet amer constat.).

Et alors, il nous faut de plus beaux paysages,
Des saveurs plus variées, des choses plus osées,
Il nous faut du piment, il faut des boissons fortes,
Car l’eau, la si belle eau, a perdu tout attrait.

Et nous partons alors en quête de soda,
De moutarde, de grand huit, de diamant, de Bali,
De tout ce sel que nous versons sur notre vie
Pour lui rendre son goût perdu.

À cet effacement, à cette longue usure,
À ce délabrement de l’émerveillement,
À cette lassitude, fille de l’entropie,
Il y a cependant un remède :

L’amour qui rend toute chose plus belle,
L’amour qui tout revivifie,
L’amour, qui vit de soi-même et d’eau fraîche.

Martin Buber, dans les récits hassidiques, parle de l’éternelle création professée par Rabbi Bounam :

« Les premières paroles de l’écriture, enseignait Rabbi Bounam, il faut les entendre comme suit : « Au commencement de la création, par Dieu, du ciel et de la terre ». Parce que de nos jours encore, le monde demeure à l’état de création. En effet, lorsqu’un artisan fabrique un objet et qu’il l’a terminé, l’objet n’a plus besoin de lui. Mais il n’en va pas du tout de même en ce qui concerne le monde : jour et nuit et d’instant en instant, il lui faut, pour subsister, qu’incessamment se renouvellent les forces de la Parole originelle qui le créa. Et si, pour un seul instant, la vertu de ces forces venait à lui manquer, il retomberait instantanément à l’état de chaos. »

C’est l’amour qui, à chaque instant, permet au monde de se perpétuer dans l’être, de ne pas disparaître dans le néant. Sans amour pour revivifier les liens, embellir les choses, régénérer les êtres, rajeunir notre regard, le monde aurait vite fait de se nécroser, de se déliter, de devenir égoïste et vieux, de se réduire en poussière. Il n’y a que l’amour qui, en renouvelant constamment notre intérêt, notre désir, notre curiosité, notre émerveillement devant les choses et les êtres, notre ouverture au monde, nous permet d’échapper à la malédiction du striatum, du toujours plus, et à la blasance généralisée.

Il n’y a que lui pour sauver le monde de la course en avant où notre appétit démesuré l’entraîne.

Aldor Écrit par :

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