Cocher les cases

« Cocher les cases ». C’est au moment où on nous demandait de le faire effectivement, chaque jour de notre vie, sous peine d’amende, que cette expression facile s’est répandue, à tel point qu’il ne se passe pas de journée sans qu’on l’entende dans la bouche d’un collègue ou d’un journaliste.

C’est bizarre qu’elle soit devenue à la mode au moment même où nous en sentions toutes les limites, où nous en subissions le carcan !

Cocher les cases se dit d’une personne, d’une solution, d’une proposition, d’une idée qui a, comme on le dit aussi, « toutes les bonnes propriétés », qui remplit les critères voulus, satisfait aux canons de beauté recherchés. En apparence, car il ne s’agit ici que d’apparence, elle a tout ce qu’il faut. Mais les a-t-elle vraiment, les possède-t-elle réellement, ces qualités qu’elle semble avoir ? C’est une autre question, mais qu’on laisse hors champ. On sait seulement qu’elle coche les cases.

Cocher les cases, cela me fait penser à cette perversion de l’audit qui ne conduit à ne plus prêter attention, dans ce qu’on fait, qu’à ce qui est vu et surveillé par l’audit et non au fond des choses ; comme la perversion du système de normes, en matière d’émissions des moteurs automobiles, conduit à optimiser les moteurs pour qu’ils réagissent le mieux aux tests, et non à faire en sorte qu’ils émettent le moins de substances nocives dans la vraie vie. On ne s’intéresse pas au vrai, qu’il est toujours horriblement difficile de mesurer, mais seulement à cette projection, à cette réduction tellement réductrice, du vrai en des cases dont le contenu est mesurable, auditable, opposable.

C’est tellement plus simple et rassurant que quelqu’un ou quelque chose coche les cases. D’abord parce que ça prouve que cette personne ou cette chose entre bien dans les cases déjà toutes faites et préparées ; ensuite parce que, subjectivement, on évite plein d’ennuis et de désagréments : pas de risque à prendre, pas de réflexion à mener, pas de doute à traîner ; on peut choisir et décider en s’en lavant les mains, comme il convient d’ailleurs de le faire en période de confinement, puisque d’autres ont pris pour nous la responsabilité de définir des seuils et des critères, de différencier ce qui était nécessaire et important (case à cocher) de ce qui ne l’était pas (le reste).

Ce n’est pas la victoire de l’apparence ; c’est celle du superficiel. Et pire encore : c’est la victoire des procédures de contrôle qui sont devenues tellement routinières qu’elles ne contrôlent plus rien : elles cochent des cases, elles aussi ; elles sont en règle – et donc ne règlent rien.

Aldor Écrit par :

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