L’angélique et le charnel

Gabriel vient voir Marie pour lui annoncer qu’elle va avoir un fils qui sera fils de Dieu.

Dans la représentation que donne de cette scène Fra Angelico, les deux personnages sont infiniment respectueux l’un de l’autre. On le perçoit dans l’inclinaison de leur corps et celui, plus marqué, de leur visage, dans l’hommage distancié et symétrique de leurs mains, dans la patience attentive qui se lit dans leurs yeux.

Un grand espace les sépare. Il y a un ange et une femme, un envoyé de Dieu et un être de chair qui dans sa chair va porter ce Dieu car les anges ne le peuvent pas. Les anges peuvent porter des messages mais il n’y a que les femmes et les êtres incarnés pour porter dans leur ventre, enfanter et aimer des êtres réels, seraient-ils nés de l’Esprit saint.

L’ange porte des messages et montre une grande bienveillance mais ses pouvoirs, qui sont immenses, s’arrêtent là. Il est bienveillant, infiniment bienveillant ; juste, infiniment juste ; peut-être même est-il capable d’amour mais son amour est universel, éthéré et sans objet. C’est un amour qui va comme l’âne de Buridan, refusant de choisir, objectif, sans préférence ; c’est pourquoi l’ange ne touche pas, restant à distance.

L’ange ne peut atteindre, et peut-être même ne peut-il concevoir, cet au-delà de la bienveillance et de la justice où commence l’amour incarné et subjectif, l’amour maternel, l’amour charnel, l’amour vrai. Il ne comprend ni le berger abandonnant son troupeau pour partir à la recherche de la brebis égarée, ni le père fêtant injustement le retour du fils prodigue. L’ange connaît la bienveillance mais il ne connaît pas la tendresse.

L’ange ne sait rien de cette tendresse sans laquelle, comme le relève si justement Aglaé Epantchine, dans l’Idiot, de Dostoïevski, la justice devient injuste et la bienveillance quelque chose de vide et de froid. Il ne sait pas que, pour être autre chose qu’une règle de droit, un métal qui résonne, dirait Paul, la justice doit parfois accepter de s’engager dans les chemins de l’injustice et de la subjectivité : serait-elle juste, la mère qui serait objective vis-à-vis de son enfant ?

L’ange aime tout le monde et donc personne. Chez un humain, cet amour éthéré deviendrait égoïsme ; chez lui, il est une abstraction qui jamais ne se pose, une intention qui jamais ne s’accomplit.

Ceux qui franchissent le pas doivent pour cela abandonner les cieux. Il faut, pour aimer vraiment, descendre des hauteurs éthérées pour épouser les aiguillons et les faiblesses de la chair, entrer dans les grandeurs et l’épouvante de l’incarnation. Il faut, comme dans Les ailes du désir, de Wim Wanders, accepter de perdre ses ailes.

Pour aimer, les anges doivent devenir des hommes.


En illustration, l’Annonciation du couvent San Marco, à Florence, de Fra Angelico

Aldor Écrit par :

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