Flottement : entre Zelig, Bacon et Chihiro

Zelig est un film de Woody Allen racontant l’histoire d’un homme dont le désir d’être accepté, estimé et aimé est tel qu’il devient ceux au milieu desquels il est : son apparence, ses traits, son comportement, ses propos deviennent ceux de ceux qui l’entourent.

Zelig

Je me retrouve souvent dans ce personnage qui est, malgré lui, complètement flottant, totalement désancré, incessamment ballotté d’une personnalité à l’autre, incapable de résister au besoin qu’il ressent de se noyer dans le décor.

Les visages de Francis Bacon donnent cette même impression : un visage tout le temps effacé, tout le temps brouillon, incapable de dépasser le stade de l’esquisse et du gommage.

Il y a aussi, qui relève de ce même ensemble, le Sans visage du Voyage de Chihiro, cet esprit au masque blanc parlant d’une voix enfantine qui semble n’être plus rien qu’un masque en quête d’amour, une créature n’existant plus qu’au travers du regard des autres et qui est prêt à tout donner à Chihiro parce qu’elle a vu en lui un être, un peu comme la Bête de La Belle et la Bête.

Le voyage de Chihiro

Un des tableaux de l’exposition sur Bacon qu’on peut voir actuellement à Beaubourg est intitulé, comme beaucoup d’autres, Autoportrait. On y voit un homme sans visage assis sur un chaise qui lévite, le mouvement de tournoiement et l’absence d’assise s’ajoutant à la décomposition des traits pour marquer le flottement de l’être.

Bacon, Autoportrait

Ce tableau me rappelle Hara, ce livre de Karlfried Graf Dürckheim, qui dit l’importance qu’il y a à trouver son centre, ce point du corps qui fait le lien entre le ciel et la terre, notre moi et le tout et qui, quand il n’est pas connu, nous laisse ouvert à tous les vents :

La « forme défectueuse » du moi consiste en un excès d’ouverture : dans ce cas, tout peut pénétrer dans l’homme, mais rien ne demeure en lui. La personne dont le Moi est insuffisamment développé n’a pas construit de parois solides autour d’elle, elle n’a pas de sol sous ses pieds et ses contours sont vagues. Il lui manque les conditions dont un homme a besoin pour subsister dans le monde, pour maintenir le contact avec son être essentiel et manifester celui-ci dans le monde.

L’homme dont le Moi n’est pas délimité ne parvient pas à garder son « intégrité » face au monde extérieur. Non seulement il est livré sans défense à ce dernier mais il n’a même pas de point d’appui vis-à-vis de lui-même. Il est entièrement dépendant de ses pulsions, de ses émotions et n’a aucune liberté de décision. Dans sa versatilité, dans son comportement impulsif, il n’a ni constance, ni ligne de conduite.

Karlfried Graf Dürckheim, Le Hara

C’est ainsi que je me sens parfois, souvent, frère des sans-visage et des esprits errants, flottant au gré des choses.

Dans le film de Woody Allen, la névrose de Zelig est expliquée par le désamour reçu pendant l’enfance. Ce sont les mêmes raisons que Dürckheim donne aux formes défectueuses du Moi, quand la confiance et la sécurité ont été malmenées. et qu’elles ont gardé de cette période des pieds d’argile qui ne supportent rien.

C’est l’amour, évidemment, qui sauve Zelig, en lui donnant cet ancrage qui lui avait toujours manqué.

Aldor Écrit par :

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